- TERPÈNES
- TERPÈNESLes terpénoïdes forment une classe de substances naturelles organiques dont beaucoup sont rencontrées quotidiennement et dont les noms traduisent souvent ce caractère familier. Elles comprennent le menthol, à l’origine de l’odeur des feuilles de menthe froissées, le cédrène, responsable de l’odeur des crayons de bois, l’acide abiétique, constituant important de la résine des pins, la bétuline, pigment blanc de l’écorce des bouleaux, le 廓-carotène, pigment orange des carottes et de nombreuses baies, le caoutchouc.L’extrême diversité des structures, des propriétés physiques et chimiques et des activités biologiques des terpénoïdes dissimule une unité profonde: tous sont produits par le même mécanisme biosynthétique fondamental qui est une variante des mécanismes biosynthétiques conduisant aux acides gras. En outre, dans tous les êtres vivants, des dérivés terpénoïdes sont apparemment responsables d’une même fonction indispensable au maintien de la vie. Ces dérivés sont des constituants membranaires améliorant les propriétés mécaniques de ces membranes.L’étude des structures, des réactions et des synthèses des terpénoïdes a joué un rôle extrêmement important dans le développement de la chimie organique: des concepts généraux, comme ceux de tension des petits cycles, de transposition de squelette, de synthèse stéréospécifique, d’analyse conformationnelle, de polymérisation des oléfines, etc., trouvent leur origine immédiate dans l’étude des terpénoïdes. Ceux-ci constituent l’une des bases des industries des parfums, des arômes, des colorants alimentaires. En outre, ils possèdent parfois des propriétés physiologiques puissantes et spécifiques: vitamines, hormones ou phéromones d’invertébrés, substances de croissance de végétaux, alcaloïdes, antimitotiques. Le nom de terpènes (du nom de l’arbuste méditerranéen le térébinthe, 精﨎福﨎晴益礼﨟) est en principe réservé aux hydrocarbures terpénoïdes en C5, C10, C15, ..., C5n . En pratique, l’usage est plus souple, et on parlera indifféremment de terpènes ou de terpénoïdes.Les structures terpéniquesUnité structurale des terpénoïdesEntre le menthol et le caoutchouc, en passant par les autres structures de la figure 1, existe une unité structurale profonde: toutes ces molécules peuvent être «disséquées» (sur le papier) en unités isopentaniques. C’est la règle isoprénique structurale , dont l’utilisation a joué un grand rôle dans l’établissement de la structure de nombreux terpènes, notamment entre les mains de L. Ruzicka. Cette règle n’est en fait qu’une version élémentaire d’une règle plus élaborée, introduite par Ruzicka en 1955, la règle isoprénique biogénétique : les structures de tous les terpénoïdes peuvent être considérées comme résultant de réactions «raisonnables» réalisées sur un précurseur terpénoïde acyclique à même nombre d’atomes de carbone. Ces réactions sont généralement (sur le papier) des cyclisations acidocatalysées, suivies de transpositions, oxydations, alcoylations, dégradations, etc. Par exemple, la figure 2 montre comment on peut faire dériver le menthol, et de nombreux autres terpènes naturels, d’un précurseur acyclique commun, le géraniol. Une telle régularité traduit des mécanismes biosynthétiques communs, qui ont pu être démontrés (cf. infra , Biochimie et géochimie des terpénoïdes ).Une autre régularité structurale est liée au rôle fondamental joué par des dérivés terpéniques dans la stabilisation des membranes cellulaires. Ces dérivés présentent tous des structures amphiphiles (c’est-àdire comportant un groupe hydrophile terminal et un squelette hydrocarboné hydrophobe, lipophile), au moins partiellement rigide, et de dimensions approximatives 0,6 憐 0,6 憐 2 nm, ou 0,6 憐 0,6 憐 4 nm, mais alors avec un groupe hydrophile à chaque extrémité. Ces dimensions permettent une inclusion optimale dans les membranes.Monoterpènes et polyterpènesLe tableau ci-dessus résume la nomenclature adoptée pour les différentes classes de terpénoïdes. En gros, les monoterpénoïdes sont les constituants odorants des essences végétales, dont les sesquiterpénoïdes forment les fractions les plus lourdes; les diterpénoïdes sont des constituants des résines; les sesterpénoïdes, encore rares, sont des constituants de cires d’insectes ou de micro-organismes; les triterpénoïdes sont des constituants universels des cellules végétales, et s’accumulent souvent dans les revêtements hydrofuges protecteurs des plantes.Substances partiellement terpéniques: méroterpénoïdesLes intermédiaires de la biosynthèse des terpènes peuvent être incorporés dans la construction de molécules très diverses, dont le reste de la structure découle d’une tout autre voie biosynthétique. C’est ainsi que la chaîne isopenténique paraît dans la structure de l’humulone, substance amère du houblon; un reste monoterpénique figure dans la structure du tétrahydrocannabinol, principal constituant actif du haschisch, reste qui est parfois modifié dans celle de nombreux alcaloïdes comme la yohimbine ; un reste diterpénique est trouvé dans la chaîne phytyle de la chlorophylle ; un reste polyprénique existe dans la structure des ubiquinones, chaînons de certains systèmes cellulaires transporteurs d’électrons (fig. 3).Stérols et autres terpénoïdes dégradésLes structures terpénoïdes peuvent être dégradées dans les organismes (cf. Biochimie et géochimie des terpénoïdes ). Un groupe très important de substances naturelles, les stérols, ne sont autres que des triterpènes dégradés. Le lanostérol (chez les animaux et les champignons) ou le cycloarténol (chez les végétaux), en C30, conduisent par exemple au cholestérol, en C27, lui-même dégradable en hormones stéroïdes comme la testostérone (fig. 4).On connaît aussi de nombreux quasiterpénoïdes, en C13 ou C14, C19, C28 ou C29, etc., dont les structures sont celles de terpénoïdes normaux partiellement dégradés. La fraxinellone, dont on a démontré qu’elle est un triterpène dégradé, est un cas extrême (fig. 5).La chimie des terpénoïdesToutes les fonctions de la chimie organique peuvent être présentes dans les terpénoïdes. On ne saurait résumer leur chimie en quelques lignes. Il est cependant possible d’attirer l’attention sur l’une de ses particularités les plus remarquables: l’existence, dans les structures terpénoïdes, de centres réactifs susceptibles de fournir des carbocations (doubles liaisons, alcools), et la présence simultanée de carbones complètement substitués conduisent fréquemment à des transpositions, dont certaines sont spectaculaires par leur complexité et leur rendement excellent. En voici deux exemples: la transposition de Wagner au sens strict, dont l’interprétation par H. Meerwein a constitué une étape très importante de l’étude des mécanismes de réaction, et la transposition «spinale» d’un triterpénoïde pentacyclique, le friedelène, qui comprend six transpositions individuelles (fig. 6).Biochimie et géochimie des terpénoïdesMécanismes biosynthétiquesL’utilisation de précurseurs marqués (14C, 3H) a permis de démontrer, vers 1955, que les terpénoïdes étaient produits par la voie résumée sur la figure 7. L’acide acétique, convenablement activé, se condense pour donner un dimère, qui peut ensuite donner soit (par condensation terminale d’une troisième molécule) une chaîne linéaire conduisant aux acides gras, soit (par condensation ramifiante) l’acide mévalonique, en C6, dont la décarboxylation accompagnée de déshydratation mène à l’isopenténol. Celui-ci est isomérisé en alcool diméthyl-allylique. Une condensation enzymatique de ces deux constituants (sous forme de pyrophosphates) conduit au pyrophosphate de géranyle, précurseur des monoterpènes, ou des polyterpènes par poursuite de la condensation. Les alcools ramifiés en C5 sont donc les éléments de construction universels dont sont faits les terpénoïdes. On a étudié très en détail les mécanismes mis en jeu dans la formation des précurseurs acycliques, et dans leurs modifications ultérieures (K. E. Bloch, F. Lynen, J. W. Cornforth, Goodwin, J. Benveniste).Catabolisme des terpénoïdesParmi les dégradations biochimiques des terpénoïdes, celle qui mène, dans de nombreux organismes, des triterpènes aux stéroïdes a été particulièrement étudiée. La figure 4 résume les deux voies connues de ce catabolisme: à partir du lanostérol chez les animaux et les champignons, ou à partir du cycloarténol chez les végétaux chlorophylliens.Il est intéressant de noter que les insectes n’ont pas la capacité de transformer les triterpènes en stérols. Un stéroïde au moins, l’ecdysone, est cependant une hormone essentielle, régulant la mue. Elle est produite par les insectes à partir du cholestérol, qui peut être obtenu par transformation des stérols des végétaux chez les insectes phytophages, mais elle est une vitamine pour d’autres insectes, comme la mouche.Les terpénoïdes sont normalement biodégradables. À l’exception du camphre et de l’acide abiétique, peu de mécanismes détaillés sont connus; ils varient avec les organismes utilisés. L’une des caractéristiques fréquentes de ces biodégradations est l’attaque oxydante de groupes méthyle non activés, que réalisent aussi les organismes supérieurs (détoxification du camphre par le chien: fig. 8).Géochimie des terpénoïdesLes terpénoïdes, ubiquitaires, dont la structure complexe exclut une origine abiotique, sont souvent bien résistants et sont isolables dans tous les sédiments, même très anciens (2 憐 109 ans). Seuls les hydrocarbures saturés, par exemple le phytane, sont la plupart du temps isolables. Parfois, des triterpénoïdes intacts ont pu être isolés dans des roches datant de plusieurs centaines de millions d’années. Ces marqueurs paléobiologiques (fig. 9) proviennent soit directement des organismes enfouis lors de la formation du sédiment, soit de micro-organismes ayant tout d’abord vécu aux dépens de la matière organique enfouie. Des transformations géochimiques, au contact de l’argile, ont pu également se produire. C’est à des polyterpanes que beaucoup de pétroles doivent leur pouvoir rotatoire.La présence de terpénoïdes dans tous les êtres vivants, ne serait-ce que comme constituants membranaires, et leur résistance relative aux biodégradations, ont permis au cours des temps l’accumulation d’une quantité énorme de certains d’entre eux. C’est ainsi que les dérivés triterpéniques du hopane, présents dans tous les sédiments, constituent une réserve de carbone organique fossile probablement plus abondante que l’ensemble de tous les êtres vivants actuels. L’importance de ces hopanoïdes, et d’autres familles de terpénoïdes, en tant que constituants membranaires de micro-organismes, a été d’ailleurs révélée par leur distribution ubiquitaire dans les sédiments; leurs fossiles ont été découverts avant les hopanoïdes non-modifiés, ce qui fait de ces derniers de véritables «coelacanthes moléculaires».Rôles physiologiques des terpénoïdesDe nombreux terpénoïdes ont une action pharmacologique sur les organismes qui les ingèrent (laxatifs, antimitotiques, substances allergisantes), sans parler de leurs effets organoleptiques (substances odorantes, amères, colorées). Les substances méroterpénoïdes, comme les alcaloïdes terpéniques ou les cannabinoïdes, peuvent avoir des actions puissantes, mais on ne les considère pas comme des terpénoïdes au sens strict.L’extraordinaire diversité des structures des terpénoïdes naturels (plusieurs centaines ou plusieurs milliers dans chaque groupe, en C10, C15, etc.) exclut une unité de rôle physiologique naturel. En fait, pendant longtemps, on a tenu ces substances pour des produits d’excrétion inertes. On sait maintenant que leur relative inertie est l’un des facteurs qui rend certains d’entre eux aptes à stabiliser les membranes cellulaires, et on suppose que ce rôle mécanique universel est celui qui a «fixé» la biosynthèse des terpènes dans l’évolution biochimique des êtres vivants.Certains terpénoïdes, parfois très complexes, ont cependant des rôles physiologiques bien précis: hormones végétales (gibberellines), hormones d’invertébrés (ecdysones, hormone juvénile), vitamines A et D, stéroïdes, phéromones d’insectes. Le plus souvent, ils ont au plus un rôle secondaire et non spécifique (constituants de résines, de cuticules, etc.), parfois utile pour l’organisme, mais pouvant, dans des espèces ou dans des mutants, leur permettre de disparaître ou se remplacer les uns les autres.On est toutefois frappé par la convergence chimique existant entre les terpénoïdes produits par certains végétaux et ceux qui sont produits ou utilisés par certains insectes. Tout se passe comme si, dans tous les êtres vivants un peu évolués, leur biosynthèse était nécessaire pour la fabrication des stérols, constituants des membranes. Les terpènes ne se trouvant pas sur cette voie pourraient résulter de déviations, dont la nature convergente serait imposée par la très large unité des mécanismes biosynthétiques et biodégradatifs existant dans l’ensemble des êtres vivants. Ces déviations aléatoires, non nuisibles, seraient susceptibles de présenter parfois un caractère sélectif positif, et seraient alors fixées, permettant une meilleure protection contre des prédateurs, une attirance sexuelle plus forte et plus sélective, une meilleure régulation de la croissance, ou des effets très indirects. Il est probable que, dans tous les cas où existe une grande variabilité des terpènes dans des groupes d’êtres vivants, les avantages évolutifs sont marginaux ou peu spécifiques. À la limite, dans certains cas on peut considérer que toute variation est permise si elle respecte les structures morphologiques. C’est par exemple le cas des laticifères d’Euphorbiacées, contenant un latex, suspension aqueuse de triterpènes pouvant appartenir à une dizaine de types différents ou être presque intégralement remplaçables par le caoutchouc. De telles variations sont évidemment génétiquement contrôlées et permettent des études de chimio-systématique.
Encyclopédie Universelle. 2012.